Les nœuds existent depuis
que l'Homme est capable de faire de la corde. Et encore. Les nerfs ou la peau
d'animaux (babiche - pour les raquettes d'hiver amérindiennes), les racines ou
les lianes sont des cordes naturelles que l'Homme a su rapidement utiliser à bon
escient. Il est donc difficile de remonter dans l'histoire pour connaître
l'origine du nœud. On se doute que rapidement, l'Homme a utilisé le nœud pour
différents usages, ne serait-ce que pour s'attacher les cheveux ou ficeler
différents objets. Peu importe la civilisation, le nœud a toujours eu une grande
place.
C'est sur la mer que s'est
développé l'art du matelotage. La complexité des manœuvres sur un navire
exigeait des nœuds particuliers répondant à des critères bien précis :
efficacité, solidité et rapidité d'exécution. Au fil des voyages (et des
mésaventures), les marins ont su développer toute une expertise sur les nœuds et
les cordages. Parmi les nœuds qu'on peut mettre à leur actif : nœud de hauban,
nœud plat, nœud d'écoute et nœud de chaise. Malgré toute la technologie actuelle
sur les bateaux, lorsqu'un cabestan (winch), un enrouleur ou un hauban
métallique viennent à briser, les nœuds arrivent à la rescousse du marin averti.
Les nœuds ont eu d'autres
utilisés dans l'histoire. Par exemple, chez les Chinois, ils servaient à
compter. Puis ils se sont transformés en boulier. Ils s'en servaient aussi pour
mesurer le temps, en faisant brûler une ficelle nouée; le temps entre deux nœuds
indiquait l'heure. Le nœud a aussi pris un essor à travers le travail quotidien
des hommes. Chaque corps de métier a développé des nœuds qui sont utiles aux
types de travaux qu'ils effectuent. On a qu'à penser aux agriculteurs, aux
cordonniers, aux gens du cirque ou aux pompiers.
Les hommes des cavernes
faisaient des nœuds pour fabriquer les collets et les filets destinés à attraper
les animaux dont ils se nourrissaient. Les nœuds leur servaient également à
traîner et à soulever des charges ainsi qu'à étrangler leurs ennemis, les parias
de la tribu ou les victimes à sacrifier. Les corps momifiés découverts par les
archéologues dans les tourbières du nord de l'Europe ont tous le cou ligaturé
avec du fil noué. Ainsi, les nœuds précèdent l'histoire écrite. Le génie méconnu
qui a découvert le premier le nœud plat ou le nœud de chaise se range parmi ces
novateurs anonymes du fond des âges qui ont compris comment maîtriser le feu,
canaliser le vent et cultiver le sol, et qui ont inventé la roue (autant de
découvertes survenues après l'avènement des nœuds).
Longtemps avant l'âge du
bronze, du fer et de la pierre, il y a eu l'âge du brêlage, des collets et des
lanières, où les humains dépendaient des tiges et des fibres végétales qu'ils
trouvaient dans la nature, de même que des boyaux, des tendons et du cuir brut
provenant des carcasses d'animaux. Toutes ces haches en silex découvertes par
les paléontologues étaient jadis munies de manches en os ou en bois qui se sont
décomposés et ont disparu depuis longtemps, de même que le cordage qui attachait
ces deux pièces. Certains nœuds remontent à aussi loin que 100 000 ans, mais il
ne subsiste aucune preuve tangible de leur existence.
Il existe cependant des
preuves circonstancielles, basées sur l'observation, au XXe siècle, de tribus
vivant pratiquement comme à l'âge de pierre, que les premiers humanoïdes - qui,
bien que primitifs, étaient loin d'être simples d'esprit -connaissaient
probablement le demi-nœud et le nœud coulant, de même que le nœud de vache et le
nœud plat. Les derniers habitants des cités lacustres suisses de l'âge de pierre
fabriquaient des cordages, en plus d'être d'habiles tisserands. L'un des plus
anciens nœuds jamais retrouvés a été découvert lors de l'excavation d'un site
submergé sous 3 m (10 pi) d'eau de mer au large des côtes du Danemark. À un
hameçon vieux de 10 000 ans était rattaché un bout de tendon ou de boyau au
moyen d'un nœud connu de nos jours sous le nom de demi-clef à capeler (ou nœud
de cabestan). En 1923, à Antrea (région de la Finlande d'avant-guerre), on a
retrouvé dans une tourbière un morceau de filet de pêche intact, qui datait,
selon les scientifiques, de 7200 av. J.-C.
Les antiques civilisations
d'Égypte, de Grèce et de Rome avaient toutes leurs fabricants de cordages, mais
ce sont les nœuds, qui permettent aux cordages de jouer leur rôle, qui
justifiaient leur coût de fabrication très élevé. Les Égyptiens, les Grecs et
les Romains savaient exécuter une série de nœuds très complexes dans le cadre
d'activités aussi diverses que la navigation à voile, la construction, les
campagnes militaires, la chirurgie et l'arpentage (une corde sur laquelle on a
effectué 12 nœuds équidistants peut se déployer pour former un triangle
rectangle dont les 3 côtés comportent 3, 4 et 5 parties égales).
Les ingénieurs militaires
romains de la fin de la période républicaine avaient inventé des techniques de
construction perfectionnées pour construire, à l'aide de bois et de cordes, des
ponts enjambant des rivières.
Un trépied était érigé sur un
radeau fait de billes. L'un des côtés constituait une glissoire dans laquelle
une lourde charge retenue par une corde pouvait glisser.
Après avoir hissé la charge
en haut de la glissoire, les ingénieurs la relâchaient pour qu'elle s'abatte sur
la tête d'un pieu. En répétant cette opération à plusieurs reprises, le pieu
finissait par s'enfoncer dans le lit de la rivière à l'angle approprié.
L'essor
des nœuds marins
En général,
les Romains n'étaient pas de grands navigateurs, mais leur maîtrise des cordages
et des nœuds a permis à leurs marchands de dominer le commerce maritime
méditerranéen.
Les Vénitiens du Moyen Âge
possédaient un vaste empire maritime qu'ils préservaient avec âpreté au moyen
d'une flotte de navires gréés à partir d'une imposante corderie munie
d'ouvertures en forme de gargouilles. On passait les cordages nouvellement
fabriqués par ces ouvertures pour les laisser tomber directement sur le quai, où
les gréeurs s'en emparaient pour équiper les navires. Depuis longtemps, on
associe nœuds et bateaux. Lorsque les canots rudimentaires creusés à même le
bois et les radeaux sont devenus trop gros et trop lourds pour être mis à gué
entre les expéditions, on a eu besoin d'ancres ou de câbles d'amarrage pour les
maintenir en place dans l'eau. Par ailleurs, les premiers voiliers nécessitaient
des étais et des haubans pour consolider et assujettir leur unique mât, ainsi
que d'autres cordages pour hisser et orienter leur fruste voile carrée.
Ce gréement, déjà très
fiable, a gagné en complexité et en raffinement à mesure que les expéditions
sont devenues plus ambitieuses. Depuis les lacs et les rivières, en passant par
les estuaires jusqu'aux mers et aux océans, les nœuds ont gagné en polyvalence
pour répondre aux exigences croissantes. Quiconque prenait la mer, pour quelle
que raison que ce fût, qu'il s'agisse de
pêcheurs en haute mer ou de
marchands, de contrebandiers ou de percepteurs, devait connaître les cordages et
les nœuds. Au XVème siècle, les mâts et les espars d'un lourd navire de guerre
muni de 74 canons ou ceux d'un rapide clipper chinois au profil élancé
croulaient sous plusieurs tonnes de gréement, équivalant à au moins 48 km (30
mi) de cordage. Mais cette époque de navigation commerciale et militaire, que
d'aucuns considèrent avec nostalgie en imaginant (à tort) que tous les marins
avaient les doigts comme des épissoirs et les cheveux comme du fil de caret, a
duré à peine cent cinquante ans. Ainsi, au cours du dernier millénaire, pour
chaque nœud confectionné en mer, un autre l'était sur le plancher des vaches.
Les cordages et les nœuds ont permis aux mineurs de sonder les cavernes les plus
profondes à la recherche de charbon et de minerai, ainsi qu'aux marchands et aux
explorateurs de traverser à pied avec leurs bêtes de somme les déserts, les
montagnes et la jungle à la recherche d'objets rares et de trésors. Les cordages
et les nœuds permettaient de remonter l'eau des puits dans des seaux et de
fabriquer les palans avec lesquels on construisait des pyramides et des
ziggourats, des châteaux et des cathédrales.
Grâce aux nœuds, les soldats
britanniques défendaient victorieusement l'Empire contre ses ennemis avec leurs
arcs, les cloches retentissaient pour sonner l'alarme ou annoncer des
célébrations, les cerfs-volants volaient et le linge était étendu à l'extérieur
pour sécher. Pendant que les chirurgiens perfectionnaient leurs techniques de
suture, les artistes de cirque ravissaient leurs auditoires par des acrobaties
plus audacieuses que jamais au trapèze ou sur la corde raide. Relieurs,
cordonniers, meuniers, bouchers et boutiquiers en tous genres avaient tous
besoin de connaître un ou deux nœuds utiles à leur métier, tout comme les
fermiers, les fauconniers et les ramoneurs. Les tisserands, qui utilisaient des
enchaînements de nœuds judicieusement placés sur leurs lourds métiers à tisser,
nouaient les fils brisés au moyen du nœud de tisserand. Les rusés braconniers
fabriquaient leurs propres filets, ce qui leur permettait d'éviter de les
acheter au magasin local et d'alerter les autorités. Un piège à lapin d'une
hauteur de 1 m (3 pi) pouvait être cent fois plus long et devait être
suffisamment léger et compact pour qu'on le camoufle facilement. Les chasseurs
utilisaient donc du fil léger et même de la soie (pour les oiseaux).
Cennino
Cennini (né vers 1372) a écrit: «Pour confectionner le parfait pinceau
[d'artiste], prenez de la soie de porc blanc, puis fixez-la à un bâton au moyen
d'un nœud de soc de charrue. » Cinq cents ans plus tard, l'armée britannique
ordonnait «... que les instructeurs mettent tout en œuvre pour que leurs hommes
soient en mesure d'exécuter en toutes circonstances chacun des nœuds décrits
ici.» (Instruction in Military Engineering - vol. I, 1er janvier 1870).
Les
nœuds universels
Dans le Far West américain,
les cow-boys tressaient des bandes de cuir brut afin d'en faire des harnais pour
leurs chevaux, des lassos et des fouets. Ils réussissaient des nœuds aussi
complexes que les bonnets turcs tant prisés des marins. Ils fabriquaient même
des chaînes de montre en tressant du crin provenant de la queue de leurs
chevaux, un art qu'ils avaient appris des vacqueros d'Amérique du Sud. Plus
tard, le tresseur de cuir Bruce Grant écrivit que l'histoire de la propagation
des nœuds espagnols pouvait ouvrir une perspective sur l'essor et l'évolution de
la civilisation espagnole.
Certains nœuds de base sont
probablement apparus spontanément dans diverses régions habitées de la planète.
Par simple curiosité, quelqu'un a dû manipuler un morceau de matériau flexible
pour voir ce qu'il pouvait en faire. « Bien des nœuds, en particulier les plus
simples, semblent être universels sur le plan culturel», font remarquer Donald
P. Ryan et David H. Hansen (A Study of Ancient Egyptian Cordage, British Muséum,
1987). Les autres nœuds ont dû se répandre au gré des échanges commerciaux et
des conquêtes militaires.
On pourrait remplir une
bibliothèque entière avec les centaines de publications anglaises consacrées aux
nœuds, dont quelques-unes seulement sont encore sur le marché. Ajoutez à cela
les adaptations et les réimpressions, ainsi que
les traductions en d'autres langues, et vous aurez besoin d'étagères
supplémentaires. En dépit de tous ces ouvrages, cependant, rares sont les
experts vraiment compétents en matière de nœuds. R. M. Abraham (Winter Nights
Entertainments, 1932) a fait la remarque suivante: «II est extraordinaire de
constater à quel point l'homme moyen sait peu de chose sur l'art de faire des
nœuds, même les plus simples.» Logan Persall-Smith (1865-1946) a confirmé cette
observation avec humour: «Je serais prêt à donner ma vie pour un ami, mais qu'il
ne me demande surtout pas de ficeler un paquet. » (The Penguin Dictionary of
Modem Quotations, 1971). Cela est fort étonnant, car il s'agit d'une compétence
facile à acquérir.
Au xvie siècle, le gréement
des navires destinés à sillonner les mers était devenu un art qui allait encore
se complexifier. Le port de Lisbonne, selon une gravure de Théodore de Bry.
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